lundi 17 novembre 2008

Femmes, enfants ou consommatrices ?



Voici une publicité print des années 1970 assez dérangeante. Elle m'a fait penser à une série de photographies de Brooke Shields prises par Gary Gross : The Woman in the Child. Ces photographies de Gary Gross, représentant l’actrice Brooke Shields à 10 ans, maquillée et nue dans son bain, ont été réalisées en 1975, avec le consentement du modèle et l’accord des parents... En particulier celui de la mère de l'actrice, Terry Shields, qui y voyait alors l'opportunité de construire la carrière de sa fille. Cependant, Brooke Shields intenta un procès contre Gary Gross en 1981, invoquant le préjudice que lui causait la diffusion de ces photographies. Le jugement fut rendu en 1983, donnant le droit à Ross de disposer librement de ces photographies.



Par le biais de ces photographies, Brooke Shield se retrouve investie d'une mission d'érotisation de l'enfance. On peut parler de mission parce qu'il y a un but purement mercantile à cette transgression ; elle répond à la volonté de l'industrie de la beauté, à la fin des années 70, d'élargir sa cible à un public toujours plus jeune, voire à de très jeunes filles, en surfant sur la vague de la libération de la femme. Brooke Shields perd donc son identité propre pour devenir un symbole, une icône, ou même une marque : c'est LA femme-enfant dans l'imaginaire collectif. C'est cette confusion entre identité, libération de la femme et marketing que Gary Gross a dépeint dans cette série de photographies. Et c'est sûrement pour cette raison que l'artiste Richard Prince choisira de s'approprier en la re-photographiant l'une des épreuves de Gary Gross.

By Richard Prince, Spiritual America. A Photograph of Brooke Shields by Garry Gross, 1983


2 commentaires:

Anonyme a dit…

je comprends bien ta fascination pour cette photo ma chère laure, car il s'agit bien d'une gamine maquillée nue, dans une baignoire luxueuse, presque inceste, pédophyle et sodomite, (sommes toutes, les seins sont plats et la consistance manque, bien qu'une ébauche d'abdos apparaisse)..

mais je ne suis pas vraiment d'accord sur le fait que brooke shield soit devenu "icône femme-enfant"; je ne ressens en rien le côté "femme" (si ce n'est le maquillage, vulgaire apparat, qui, au final, ne constitue qu'un masque).. cette photo n'est qu'un leurre provocant de l'inceste..
de plus richard prince ne se l'approprie pas pour cette raison mais probablement dans un soucis nihiliste d'égalisation des productions photographiques (remake+remake/choc après choc..).bref ..

fais attention de ne pas trop raccourcir tes analyses ma tendre amie, car des gens les lisent, et si tes aspirations sont grandes, tu te dois d'être à la hauteur.
je t'embrasse.

Laure a dit…

Cher ami, dans ton élan moralisateur, tu n'as pas lu mon article très attentivement, je n'y parle pas tant de Brooke Shields en termes d'icône femme-enfant, qu'en termes d'une instrumentalisation de son image pour faire d'elle une sorte de produit marketing, visant à susciter le désir de s'emparer des attributs réservés normalement aux femmes mûres chez de jeunes consommatrices. Cette photographie représente pour moi le début d'une ère ou les grands groupes corporates vont abandonner tout ce qui leur restait d'éthique dans leur communication, tout en se servant du contexte philosophico-politique libertaire ambiant de l'époque pour faire passer leurs campagnes marketing. Tu n'es pas sans ignorer qu'aujourd'hui, la plupart des mannequins qui posent pour susciter le "désir" des consommateurs ont souvent entre 14 et 16 ans, que l'on trouve dans certains magasins de vêtements des strings destinés à être portés par des fillettes de 10 à 12 ans, et j'en passe... Le marketing concernant la gent féminine repose essentiellement depuis ces années-là sur deux désirs : transformer les adolescentes en femmes et faire ressembler les femmes à des adolescentes. La jeunesse est érigée en valeur par le monde de la pub, à condition que cette jeunesse rime avec séduction. Le visage fardé d'une Brooke Shields de 10 ans, tremblante dans sa baignoire, parce que sa mère s'est transformée en redoutable femme d'affaire abusive, désireuse de gagner le plus d'argent possible sur le dos de sa fille, me paraît être un bon paradigme de cette instrumentalisation des femmes, même lorsqu'elles ne sont encore que des enfants. Tantôt produit de consommation, tantôt consommatrices, face au sirènes de l'industrie de la beauté, elles sont toujours perdantes. Brooke Shields âgée de 10 ans, maquillée et nue dans son bain est bien une "icône femme-enfant", mais elle ne l'est pas dans le sens de "femme désirable pour un homme" (je ne vais pas parler ici de la pédophilie) mais dans le sens de pur produit marketing, prompt à susciter le désir des consommatrices.
Cette image n'est pas isolée, il y a dans la série de photographies de Gary Gross, une portrait, représentant le visage de Brooke Shield en gros plan, qui est autrement plus bluffante, le titre de la série "The Woman in the Child" y prend tout son sens. Mais j'ai choisi de montrer cette photo en particulier, qui échoue à faire d'une enfant une femme, parce que le fait qu'elle ait été reprise par Richard Prince y ajoute un méta-langage : c'est un portrait de la société de consommation américaine qu'on peut voir là. De bien piètres illusions diffusées grâce à une instrumentalisation des êtres humains toujours plus grande, toujours plus amorale. De ce mécanisme, il reste des images qui fascinent et répugnent en même temps. Et quelque part, quand on y réfléchit, et bien oui, ces images peuvent prendre une dimension iconique.