mercredi 28 octobre 2009

Pan ! Dans l'œil !


«Voici ma pine et mon foutre
c’est l’élan de mon cœur
mais montre-moi ton con
auprès de la fenêtre»

Benjamin PÉRET, 1929.



Lorsqu’ils visitent le Philadelphia Museum of Art, beaucoup de spectateurs passent à côté d’Étant donnés : 1° La Chute d’Eau / 2° Le Gaz d’Éclairage — l’œuvre se trouve dans une petite salle sombre, adjacente à la salle consacrée au Grand Verre et aux autres œuvres de Marcel Duchamp. Le sol est tapissé de moquette, conférant à l’endroit une atmosphère feutrée que l’on ne retrouve pas dans le reste des salles consacrées à l’art du XXème siècle, car le parquet y fait résonner les pas des spectateurs.

D’Étant donnés, on ne voit d’abord que la porte, une porte en bois massive, à deux battants, que rien ne semble pouvoir ouvrir.


La porte d'Étant donnés

Si l’on s’approche un peu au lieu de retourner sur ses pas, on verra se dessiner deux points lumineux rompant avec la pénombre ambiante. Ce sont deux petits trous, forés dans le bois de la porte. La distance qui les sépare l’un de l’autre correspond à l’écartement moyen des yeux humains.
La curiosité et le mimétisme faisant leur œuvre, les yeux du spectateur iront s’accoler aux œilletons de la porte. La lumière est alors si vive comparée à la pénombre de la salle où il se trouve que c’est tout juste si le spectateur ne fait pas un bond dans une autre dimension. Il se trouve projeté devant une scène pour le moins étrange, un spectacle qui tient du diorama autant que du peep show.

Étant donnés : 1° La Chute d’Eau / 2° Le Gaz d’Éclairage, Marcel Duchamp, 1946-1966

Car ce qu’il voit à travers une mandorle de pénombre, à travers l’échancrure percée dans le pan d’un mur de briques rouges, c’est un corps inanimé — celui d’une femme nue, couchée sur le dos, au milieu d’un enchevêtrement de branchages desséchés. Derrière elle, un paysage de collines et d’arbres dont le bleu du ciel est à peine troublé par quelques nuages moutonneux.
Mais ce qu’il voit surtout, c’est que cette femme écarte les jambes vers lui, révélant ainsi ce qui reste habituellement caché — sa cuisse gauche est un peu relevée tandis que sa jambe droite se projette vers lui, presque une ligne de fuite.
Ce qui, en premier lieu, s’est offert à sa vue à travers les œilletons de la porte, c’est une vulve baignée par la lumière : il n’y a pas de zones sombres, pas de toison brune dissimulant les replis intimes. La vulve est dévoilée, lisse et bombée, mise à nu par l’épilation. Et puis, une fois passée la stupéfaction initiale, le spectateur regardera plus attentivement, se rendant compte que le sexe qui s’ouvre devant lui ne ressemble pas exactement à ce qu’il a pu voir de l’anatomie féminine en général, c’est plus une vision de l’ordre de la blessure.

Étant donnés, détail

Troublé, il dirigera son regard vers le paysage, cherchant des indices, une explication...
Ses yeux s’arrêteront sur la lampe à gaz que la femme tient à bout de bras, il en émane une faible lumière verdâtre. Étrange, que fait cette lampe au sein d’un espace aussi lumineux, se demandera-t-il avant que son attention ne se porte sur la main qui serre le manche du bec de gaz ; les doigts sont grossièrement représentés et la main en devient presque obscène, quelque chose d’inquiétant s’en dégage, il ne saurait dire quoi...
Soudain, à droite du bec de gaz, il aperçoit la chute d’eau, scintillante et mouvante, elle semble presque réelle, mais lui ne s’en laisse pas compter, il est déjà allé dîner au restaurant chinois, et a vu maintes fois de semblables cascades se déverser éternellement sur fond de chromos soigneusement encadrés.

Ses yeux se reportent vers le sexe, il se prend à imaginer pareille cascade inondant les replis de cette vulve... lorsque sa rêverie prend fin, il scrute à nouveau le corps étendu face à lui ; étudie la peau claire et grumeleuse, un peu fissurée par endroits, remarque la mèche de cheveux blonds qui dissimule le visage du mannequin, le sein gauche qui s’étale sur les brindilles, la touffe de poils blonds qui orne l’aisselle gauche.
Sans trop y croire, il essaye de se déplacer afin d’apercevoir, qui sait, un morceau de visage, un petit bout d’épaule droite ; mais il ne voit rien de plus, ses yeux sont corsetés par les œilletons.

La porte ne s’ouvrira pas. Elle est condamnée.

Vue du dispositif tiré du
Manual of Instructions for Marcel Duchamp Étant donnés : 1° La Chute d’Eau / 2° Le Gaz d’Éclairage,
Philadelphia Museum of Art



Sur Marcel Duchamp :
http://www.marcel-duchamp.com/
http://www.toutfait.com/

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